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En Amérique latine, le bonnet indien de Manu Chao est peut-être plus connu que le béret rasta de Bob Marley. Rebelle, libertaire, engagé : comme son cousin jamaïcain, Manu Chao est avant tout un homme proche du peuple. C’est peut-être cette humilité qui a forgé le succès international de ce Français virevoltant à travers différents styles de musique et sur différents continents. Avec une simple guitare dans les montagnes du Chiapas, sur une scène gigantesque avec quinze musiciens ou sous les flashes des photographes, Manu Chao reste toujours lui-même. Cela fait un peu plus de vingt ans que Manu Chao voyage dans la musique, en faisant escale dans des groupes plus ou moins illustres. A la fin des années 80, il était le leader charismatique de la Mano Negra, l’une des formations alternatives les plus populaires et les plus novatrices en France, qui avait déjà réussi à conquérir l’étranger. Pendant huit années passées à la tête de ce collectif phare du rock français, Manu Chao a enchaîné les albums (quatre en studio, un en public) et les tournées-fleuves. Il a pointé son nez sur beaucoup de fronts musicaux, souvent avec l’appui de l’Association française d’action artistique (Afaa). Inépuisables artisans de dialogues musicaux Nord-Sud, la Mano et Manu se sont engagés sur les routes, les océans, le rail et dans les airs. Au printemps 1992, ils décident de frapper fort avec l’opération Cargo, qui va durer six mois. Pour célébrer à leur façon le 500e anniversaire de l’arrivée de Cristobal Colon (dit Christophe) aux Amériques, le groupe s’embarque, avec la compagnie Royal de Luxe (arts de la rue) et le chorégraphe Philippe Decouflé, sur un cargo dont la cale a été transformée en rue du vieux Nantes. Destination : tous les grands ports de la côte atlantique de l’Amérique latine, jusqu’à Cuba... Le succès est immense, le retentissement, mondial. Un an plus tard, Manu Chao et ses comparses mettent à nouveau le cap sur l’Amérique latine. En hiver 1993, ils interrompent l’enregistrement d’un album pour aller se ressourcer en Colombie, avec toujours les mêmes recettes : un concert avec des musiciens locaux, des improvisations, une foule en délire et, parfois, un enregistrement rapide. Drogué aux voyages Ramon Chao, qui se présente aujourd’hui comme le "père le plus célèbre du monde", les suit. Journaliste à Radio France internationale, ce Galicien d’origine écrit même un livre (Un train de feu et de glace, éd. Plon Histoire), qui retrace la vie quotidienne de ce "train de saltimbanques" conduit par son fils, qui trouve dans ce voyage un nouveau souffle d’inspiration. Ce sera la marque du quatrième album de la Mano, Casa Babylon. Depuis, Manu Chao n’a eu de cesse d’enchaîner les périples : Afrique, Amérique latine, Europe... Il se dit aujourd’hui "drogué aux voyages", s’avoue incapable de s’en passer et reconnaît sa chance de pouvoir obtenir un visa "pour partout ou presque". "Lorsque la Mano Negra s’est séparée, en 1995, j’ai mis sept ans à m’en remettre. Ce n’était pas les planches qui me manquaient, mais j’avais besoin de changer de ville toutes les semaines. Les tournées, c’est fabuleux ! Mais c’est une drogue dangereuse, après on ne peut plus s’arrêter !", confie-t-il juste avant de finir une énorme tournée européenne avec son nouveau groupe, Radio Bemba. Après la fin de la Mano Negra, Manu Chao a repris la route, seul, avec pour bâton de pèlerin un studio portable et son enthousiasme pour capturer des bribes de vie sonores aux quatre coins du monde. "C’est de la chasse à l’instant, comme un petit travail journalistique", précise-t-il. De ses errances musicales, Manu Chao a tiré deux albums, Clandestino puis Próxima estación : Esperanza, construits selon le même canevas : des sonorités simples et enfantines, qui se retiennent facilement, tissées entre elles pour transmettre une émotion profonde. Ses refrains répétés à l’infini, mêlés de mille bricolages sonores, touchent toujours juste. "Que hora son en Washington ?... Que hora son en Mozambique ?" ("Quelle heure est-il au Mozambique ?"), chante-t-il en espagnol avec un accent français, avant d’enchaîner des couplets en portugnol (mélange d’argots portugais et espagnol du Brésil), en anglais ou en français. Sur son dernier disque, en un seul cri plus puissant que mille mots, la voix de Manu transperce l’indifférence : "Denia Algeria". Citoyen du présent Aujourd’hui, Manu Chao se veut "citoyen du présent" et témoin incessant des luttes contre l’oppression. Il a joué à Mexico, sur la place du Zocalo, devant 150 000 personnes venues pour le sous-commandant Marcos, puis à Gênes (Italie), en juillet 2001, pour soutenir les antimondialistes pendant le sommet du G8. Il se bat pour offrir des concerts gratuits, pour aider les causes qui lui semblent justes et chante encore "Pourquoi, même quand les gens s’aiment, il y a toujours des problèmes ?". A chaque concert, des milliers de personnes reprennent ses paroles en chœur. Cependant, succès et Manu Chao sont-ils compatibles ? D’un côté le chanteur est l’un des plus gros vendeurs de disques au monde, la presse se l’arrache, son visage et son bonnet s’affichent partout, y compris pour retapisser la station de métro Ménilmontant pendant une semaine - une première pour le métro parisien -, et de l’autre il refuse de devenir une icône et veut lutter contre la dictature économique mondiale. "C’est une gymnastique au quotidien, confie le chanteur. Je ne suis pas un symbole, je le répète tous les jours ! Les médias veulent me mettre dans des cases, les partis politiques tentent de me récupérer. J’essaie de séparer mon engagement de ma musique, mais c’est difficile, donc je gère cela au jour le jour. D’ici à quelque mois, je vais sérieusement réfléchir pour savoir si je dois continuer ou non de chanter. J’ai un public intelligent, mais je dois faire attention à ne devenir le pantin de personne." En attendant de prendre une décision concernant son avenir professionnel, Manu Chao reprendra la route, direction l’Amérique latine, avec peut-être un crochet par l’Inde "histoire de voir s’[il] devient bouddhiste !". Pour l’instant, le petit homme au bonnet andin n’envisage pas de vivre à nouveau en France, "à part peut-être à Marseille". Il garde son pied-à-terre à Barcelone, "un petit appartement sans salon, puisque le salon c’est le quartier autour, le bar d’en bas : le monde est à une volée d’escaliers". L’esperanza fait vivre... Par Elodie Maillot Sur internet : http://www.manuchao.net/ |